Définition.
Le lymphome lymphoplasmocytaire est un lymphome non hodgkinien (LNH) rare à cellules B matures caractérisé par la présence de cellules lymphoplasmocytaires dans la moelle osseuse. La présence en plus d'une protéine IgM monoclonale dans le sérum définit la maladie de Waldenström (MW) [classification OMS 2016]
L’IgM sérique est appelée également macroglobuline (capacité à polymériser en pentamères), expliquant que la MW est encore appelée « macroglobulinémie de Waldenström ».
Maladie rare (1-2% des maladies hématologiques malignes ; incidence = 0,5 nouveau cas pour 100 000 habitants par an) qui prédomine chez l’homme (sex ratio = 2 à 2.5), avec une médiane d’âge de présentation = 63 ans incidence de 3.5 / 100 000 H de 75 ans et plus).
Il semble que dans la majorité (voire la totalité) des cas la MW soit précédée par une phase asymptomatique avec pic IgM sérique, appelée MGUS à IgM (Monoclonal Gammopathy of Unknown Significance), avec un rythme de transformation de 1.5% par an.
1. Signes cliniques
Signes généraux :
Amaigrissement, faiblesse fatigue.
Signes d'infiltration tumorale chez 30-40% des pts.
* Adénopathies (20 % des cas) : souvent cervico-axillaires, puis inguino-crurales. Bilatérales, symétriques, fermes, indolores. Les ganglions profonds seront recherchés (visualisés par TDM ou scanner)
* Splénomégalie rare et de faible volume (retrouvée seulement dans 15 % des cas) ; hépatomégalie modérée dans 10 % des cas
* Localisations viscérales dans 10% des cas (surtout gastro-intestinales, rarement osseuses).
* Signes d'insuffisance médullaire (20 % des cas) : pâleur, asthénie, dyspnée.
Signes liés à l'IgM sérique.
* Syndrome d’hyperviscosité. Observé chez 20 % des patients.
L’IgM augmente la viscosité plasmatique (qui passe de 1.5-1.8 centipoise à 4 cp dans la MW).
On observe :
syndrome hémorragique essentiellement cutanéo-muqueux (saignements spontanés: épistaxis, gingivorragies) ; parfois hématémèses (thrombopathie liée à l’Ig qui entoure les plaquettes et limite leur efficience) ;
Rétinopathie avec troubles visuels : un examen du fond d'œil est nécessaire devant tout signe d’hyperviscosité. (engorgement des veines rétiniennes, hémorragies rétiniennes, œdème papillaire) ;
syndrome neurologique : central (avec céphalées, obnubilation, syndrome confusionnel) et/ou périphérique (neuropathie). (réaliser alors un électromyogramme).
Nécessite un traitement rapide (plasmaphérèses).
* Signes liés à une activité cryoglobulinique.
15% des pts ont une cryoglobuline, asymptomatique dans 2/3 des cas.
Manifestations cliniques : faiblesse, purpura, saignements muqueux, arthralgies, acrocyanose (phénomène de Raynaud, occlusions vasculaires périphériques).
La cryoglobuline est de type I ou II (voir plus loin).
Au cours de l’hépatite C l’infection est associée à une réponse lymphoproliférative B qui aboutit dans 10 % des cas à un LNH, souvent une MW.
* Maladie des agglutinines froides.
Les agglutinines froides ne sont pas des cryoglobulines.
Les agglutinines froides représentent 30% des anémies hémolytiques immunologiques.
Les patients présentent une acrocyanose (phénomène de Raynaud) et/ou une hémolyse après exposition au froid.
* Présence d’anticorps anti MAG.
La présence d’un pic IgM peut être associée à une neuropathie périphérique avec ou sans les signes classiques de la MW.
L’IgM a une activité anticorps contre une protéine neurale, principalement la Myelin Associated Glycoprotein ou MAG.
2. Pathogénie.
La cellule à l’origine de la MW est une cellule B IgM+ ou IgM+D+ arrêtée après hypermutation somatique dans le centre germinatif et avant différenciation terminale en plasmocyte. Il n'y a pas de commutation isotypique : il s’agit probablement d’une cellule « mémoire-like » de la zone marginale splénique ou du follicule lymphoïde, qui a :
acquis une capacité sécrétoire d’IgM,
a pour origine vraisemblable une stimulation antigénique chronique, infectieuse (+/- idem lymphomes MALT),
acquis une morphologie +/- lymphoplasmocytaire,
a conservé une expression du CD20 et de l’IgM de surface,
Les cellules tumorales libèrent du CD27 soluble, qui active les mastocytes médullaires, lesquels produisent en retour des activateurs cellulaires B comme APRIL et CD40L, qui stimulent la différenciation lymphoplasmocytaire du clone.
Environ 20 % des MW ont dans leur famille des individus montrant des modifications quantitatives des protéines sériques (G, A, ou M). L’hypo gamma retrouvée dans la moitié des MW serait une étape préalable à la malignité.
Une mutation du gène MYD88, qui code pour une protéine de la trandsuction du signal des récepteurs Toll like activant NK Kappa B est retrouvée chez > 90 % des pts.
3. Biologie.
3.1. Vitesse de sédimentation
Accélérée, habituellement > 70 – 100 mm à la 1ère heure.
(sauf si cryoglobuline type I, qui peut entraîner la gélification du sang)
3.2. Hémogramme
* Anémie.
D'importance variable : Hb = 6 – 14 g/dL.
Elle peut être vraie par insuffisance médullaire, ou faussée par l’hémodilution parfois très importante (pression oncotique importante du plasma liée à l'IgM).
Le plus souvent : normochrome normocytaire arégénérative.
Parfois il existe une hémolyse avec test de Coombs direct positif (10% des cas), souvent de type mixte M+G+C' , ou M+C' avec agglutinines froides.
Sur le frottis sanguin: phénomène de rouleaux = entassement en piles d'assiettes des GR du fait de l'IgM monoclonale.
Remarques.
Il existe des réactions anormales entre réactifs des automates d’hémogramme et Ig monoclonale en grand excès, aboutissant à une Hb faussement élevée.
Il a été décrit (très rare) une anémie faussement macrocytaire, par pseudo – agglutination du fait de l’excès d’IgM : après incubation à 37°C et réanalyse rapide cette pseudo macrocytose disparaît ;
* Leucocytes.
Nombre le plus souvent normal. On n’observe une lymphocytose modérée (> 4 G/L) que dans 30% des cas. Parfois neutropénie, le plus souvent par anomalie de répartition.
* Thrombopénie modérée dans 40 % des cas.
3.3. Myélogramme et biopsie ostéo médullaire (BOM)
Ponction et BOM sont indispensables
Moelle riche. Infiltration lymphoïde polymorphe représentant 20 à 60% (voire plus) du total cellulaire, avec mélange de lymphocytes, lympho-plasmocytes, et souvent d’un petit nombre de plasmocytes. |
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Des inclusions arrondies, grises ou rosées sont souvent observées (petites ou volumineuses) dans les cellules lymphoplasmocytaires = cellules de Mott (« grape cells »).
Parfois on observe des inclusions intranucléaires volumineuses et translucides, les corps de Dutcher.
Présence fréquente de mastocytes [non spécifique, car parfois observés dans : LLC; M de Hodgkin, SMD] . A l'opposé des mastocytes normaux, ils expriment le CD 154 (= CD40 ligand) comme au cours de l'anaphylaxie. Les Ly de la MW expriment le CD40, et l'interaction CD40-CD40L dans la MW pourrait favoriser la prolifération lymphoïde tumorale (Tournilhac et al, Ann Oncol 2006)
Autres lignées quantitativement réduites en nombre, sans particularité morphologique.
Toujours rechercher une éventuelle myélodysplasie associée (âge en faveur, association préférentielle avec les lymphoproliférations de bas grade).
La BOM précisera la nature de l'infiltration, souvent diffuse (discrète myélofibrose dans 1/2 des cas).
Remarques :
- parfois échec de l’aspiration (myélofibrose) ou de l’étalement par hyperviscosité du produit aspiré.
3.4. Immunophénotype des cellules lymphoïdes
- Cellules lymphoïdes B matures: CD19+, CD20+, CD22+ (mais faible), CD79a +; souvent IgM+D de membrane (expression normale ou augmentée).
- Habituellement : absence de CD5 et de CD23 (différence avec les lymphocytes de LLC), absence de CD10 (différence avec les cellules centrofolliculaires), et de CD138 (différence avec les plasmocytes).
- score de Matutes =
Remarques :
- Phénotypage parfois délicat car plusieurs stades de maturation des cellules lymphoïdes sont possibles, avec mélange de cellules CD45RA (moins différenciées) et CD45RO (stades tardifs), de cellules avec et sans Ig de surface.
- L'IgM membranaire possède la même chaîne légère (et éventuellement la même activité anticorps) que l'IgM sérique (l'IgM intracytoplasmique est présente dans les cellules les plus matures)
- L'IgD membranaire présente le même type de chaîne légère que l'IgM.
- Quand il existe des lymphocytes anormaux dans le sang, ils appartiennent au même clone que les cellules médullaires.
3.5. Examens biochimiques
Protéines sériques et urinaires.
Protidémie : 80 à 120 g/L
Electrophorèse des protéines sériques : pic monoclonal étroit et symétrique dans la zone gamma ou bêta rapide. Le pic est > 5g/L (5 - 30 g/L dans 60% des cas), parfois > 100 g/L.
Dans 50% des cas, il existe une baisse des IgG et IgA.
Immunoélectrophorèse ou immunofixation : IgM , avec chaîne Kappa dans 80 % des cas.
Le dosage pondéral (néphélémétrie) de l'IgM est souvent imprécis et on utilise en pratique la valeur du pic mesuré sur le tracé de l’électrophorèse.
Protéinurie : présente dans 50 % des cas, modérée, très rarement > 1g / 24H), correspondant à la chaîne légère monotypique (= protéinurie de Bence Jones)
Activité cryoglobulinique dans 15% des cas.
Le plus souvent de type I (= Ig M monoclonale), plus rarement mixte type II (IgM monoclonale à activité anti IgG polyclonale [IgM anti IgG]). L’association au virus de l’hépatite C n’est pas rare dans ce dernier cas.
Remarques :
- les MW sans pic IgM (= non excrétantes) sont beaucoup plus rares que dans le MM
- pour une étude biochimique convenable il peut être nécessaire de dépolymériser l'IgM avec des agents réducteurs (2-mercaptoéthanol, dithiothréitol).
3.6. Autres
Bêta2 microglobuline : > 3 mg/L dans 50% des cas [marqueur de masse tumorale]
Agglutinine froide dans 10% des cas.
Presque toujours M kappa, de spécificité anti I ou anti i, avec titres dépassant souvent 1/1000. Elle provoque dans une partie des cas une hémolyse au froid (doser = haptoglobine, bilirubine, LDH)
Parfois : anomalies de l'hémostase.
En pratique on réalise un bilan d’hémostase dans la MW.
L'adhésion et l'agrégation plaquettaire peuvent être perturbées.
Des inhibiteurs de la coagulation sont parfois détectés (anticoagulants circulants)
Les facteurs I, II, VII, VIII et X sont parfois abaissés.
Sérologie de l’hépatite C.
Autres examens biologiques :
Positivité pour le facteur rhumatoïde (Waaler Rose), liée à la présence de cryoglobuline dans la majorité des cas.
Anticorps anti-nucléaires et sérologie syphilitique peuvent être faussement positifs. Exceptionnellement diminution de l’inhibiteur de la C1 estérase.
La LDH est augmentée en cas d’anémie hémolytique et dans les quelques formes agressives.
Volémie plasmatique : non réalisée en pratique. Peut atteindre 2 à 3 fois les valeurs normales. (méthode isotopique avec GR marqués au chrome 51).
Mesure de la viscosité plasmatique (centipoises) est parfois réalisée. Elle peut dépasser 3 fois la normale (N= 1,5 – 1,8 cp) et augmente beaucoup plus rapidement que la concentration en IgM.
NB: les fonctions hépatique et rénale doivent être appréciées chez tout patient à traiter.
3.7. Biopsie ganglionnaire
Envahissement diffus avec disparition de l'architecture normale: les cellules tumorales sont des lymphocytes ou des lympho-plasmocytes (avec souvent des mastocytes).
Le diagnostic différentiel avec d’autresLNH de bas grade n’est pas toujours facile : lymphome MALT gastro-intestinal qui dissémine, lymphome de la zone marginale splénique (30% ont IgM > 5g/L, quelques uns ont une AHAI), LLC avec différenciation lympho-plasmocytaire.
3.8. Etude cytogénétique et moléculaire.
Etude moléculaire de la séquence IgVH : hypermutation somatique sans diversité intraclonale (pas de switch)
Caryotype: pas d'intérêt diagnostique. L’absence de t(11 ;14) et de t(14;18) peut être utilisée pour des diagnostics différentiels difficiles. 20% des cas ont une trisomie 4, et la trisomie 3/+3q est absente.
Mutation ponctuelle du gène MYD88 L265P dans 90% des MW. Cette mutation, accessible à l'étude en PCR, est également présente dans 87% des MGUS IgM (mais absente de sMGUS IgG/A), et environ 20 % des LNH de la zone marginale splénique et des LNH à grandes cellules B non centro-germinatifs. Peut être utilisée comme marqueur de la maladie (Jimenez et al. Leukemia 2013)
Mutation de CXCR4 dans 30 % des LPL et 20 % des MGUS IgM mais absente des MGUS IgG/A.
4. Diagnostic positif et diagnostic différentiel.
4.1. Diagnostic positif de la maladie de Waldenström et des MGUS à IgM.
Seuls les MW symptomatiques doivent être traitées : on peut proposer la démarche pragmatique suivante (Rev Prat 2006;56:25-30 - Wintrobe’s Clinical Haematology 2004), après avoir éliminé les autres situations de pic IgM :
Présence de signes cliniques en rapport avec la MW Quantité d’IgM : sans importance (souvent > 30 g/L) Cytopénies : possibles Infiltration médullaire : oui |
Maladie de Waldenström symptomatique Traitement à entreprendre (15% des pics IgM) |
Absence de signes cliniques Absence de cytopénies IgM à taux intermédiaire (15 - 30 g/L) Infiltration médullaire (= au moins 20% de lymphocytes et lymphoplasmocytes au myélogramme) |
Maladie de Waldenström asymptomatique Surveillance (15 % des pics IgM) |
Absence de signes cliniques Absence de cytopénies IgM à taux faible ( Absence d'infiltration médullaire |
MGUS à IgM Surveillance (1.5 % évoluent chaque année vers : MW, LNH de bas grade, et plus rarement LLC) * (70 % des pics IgM) |
* : Un patient avec pic IgM n'évolue pas vers un myélome multiple
4.2. Diagnostic différentiel (biologique) : les autres situations avec pic IgM
LNH zone marginale : pic IgM (jusque 30-40 G/L) dans 1/3 des cas.
Souvent splénomégalie notable, rare et discrète dans le MW.
Lymphocytose sanguine fréquente (parfois avec cellules villeuses ou monocytoïdes).
LLC, LNH Burkitt et diffus à grandes cellules : parfois pic IgM modéré (
Cryoglobulinémies, maladies des agglutinines froides : la symptomatologie clinique et biologique peut précéder de plusieurs années une authentique MW.
Exceptionnels myélomes multiples à IgM. Correspondent à des MM dont le switch a été altéré : les singes cliniques sont ceux du MM, et la prolifération tumorale est constituée de plasmocytes CD138+
Autres situations présentant un pic IgM : voir document correspondant.
5. Evolution, complications et traitement.
Evolution spontanée peu agressive
Proche de celle des LLC, avec une espérance de survie proche de 10 ans
Le traitement se limite aux patients symptomatiques, en sachant que la durée moyenne entre le diagnostic d'une forme purement biologique et l'apparition d'une maladie symptomatique est de 7 ans.
Une surveillance clinique et biologique est réalisée 2 à 3 fois par an, devant préciser l'apparition d'une anémie ( 3 mg/L, ou l'augmentation du pic > 30g/L (à partir du tracé électrophorétique).
Il existe 5 facteurs pronostiques majeurs dans l'International Staging System :
- âge > 65 ans
- Hb =
- plaquettes
- β2 M > 3 mg/L
- IgM sérique > 70 g/L
Ce qui définit un score pronostique (voir le référentiel SFH 2009 pour le traitement de la MW).
Complications
Accentuation des troubles neurologiques; insuffisance rénale; infiltrations lymphomateuses (pulmonaire, digestive, cutanée)
Complications hématologiques: accentuation de l’hémolyse, des cytopénies, des effets de la cryoglobulinémie, transformation en syndrome de Richter, apparition d’une LA secondaire à la chimiothérapie (1-2% des pts).
Augmentation excessive du volume plasmatique total: risques de décompensation cardiaque.
Traitement
- Plasmaphérèses : pour faire diminuer rapidement le composant monoclonal en cas de syndrome d’hyperviscosité.
Agir sans attendre.
On diminue la concentration en IgM en deçà du seuil symptomatique si le syndrome d’hyperviscosité est isolé et on revient à un taux normal s’il existe des manifestations neurologiques ou d’autres atteintes d’organes, ou qu’il existe une anémie hémolytique ou une cryoglobulinémie.
- Traitement symptomatique des infections le cas échéant.
- Monochimiothérapie avec un agent alkylant (Chlorambucil) ou un analogue des purines (Fludarabine, 2CDA)
- Polychimiothérapie associant l'un des médicaments précédents et un anticorps monoclonal (notamment un anti CD20).
- Une chimiothérapie intensive est proposée à certains patients.
Le référentiel édité par la SFH en novembre 2009 précise les modalités thérapeutiques (consulter le site SFH).
La rémission complète avec disparition totale du pic est rare: le plus souvent la rémission est partielle avec amélioration des signes cliniques et baisse du pic de 50 à 75 %. Le pronostic est globalement bon puisque la survie moyenne après début du traitement est de 8 ans.
Lien avec des observations biocliniques :
Obs32. Maladie de Waldenström avec cellules de Mott particulières
Bibliographie.
Johnson et coll, Br J Haematol 2006, 132 :683-697.
Stone M, Pascual V. Pathophysiology of Waldenström’s macroglobulinemia. Haematologica 2010; 95:359-364.
Morel P et al. Blood 2009: 113: 4163-4170.
Zandecki et coll, Feuillets de biologie 2007.
septembre 2013