Elliptocytoses constitutionnelles; autres anomalies de la membrane du globule rouge

Ensemble de maladies héréditaires caractérisées par la présence d’hématies ovalaires ou elliptiques sur le frottis sanguin. 

Il existe d'autres maladies plus rares de la membrane du GR, notamment la stomatocytose et l'acanthocytose héréditaires

Elliptocytose héréditaire.

La forme commune, la plus fréquente, est à transmission autosomique dominante.

Incidence.

Pas de lien avec une ethnie précise, mais plus fréquente chez les Africains (incidence parfois de 1/100 naissances selon les régions) : les GR elliptocytaires résistent mieux à l’infestation par le Plasmodium, expliquant l'incidence élevée dans certaines régions d’Afrique.

Chez les Caucasiens : incidence de 1/5000 naissances.

Pathogénie

Les elliptocytoses sont souvent secondaires à une mutation sur l’un des gènes de la spectrine alpha ou bêta, qui induit la synthèse d’une spectrine anormale. Ce déficit qualitatif provoque des altérations entre les chaînes de spectrine et la rupture de la stabilité mécanique du cytosquelette.

Sinon, d’autres gènes sont mutés (protéine 4.1.R, glycophorine C). Par exemple la protéine 4.1 se retrouve en quantité diminuée, ce qui déstabilise le complexe moléculaire reliant les spectrines à la membrane du GR.

La grande hétérogénéité clinique chez les individus avec la même mutation de la spectrine pourrait être liée à des allèles modificateurs comme α LELY (Low Expression allele from Lyon). Le polymorphisme α LELY est totalement asymptomatique à l'état hétérozygote mais aussi habituellement à l'état homozygote. Mais quand ce polymorphisme est associé en trans avec une mutation du gène α spectrine les formes mutées α pectrine sont nombreuses et responsables du phénotype HPP (hereditary pyropoikilocytosis).

Présentation clinique.

Chez l'adulte : 

-  90 % des cas : situation de porteur asymptomatique, découverte fortuitement lors de l'examen d'un frottis sanguin (Hémoglobine normale, VGM normal, N° rétic normale, absence d’hémolyse).

- 10 % des cas : hémolyse modérée, avec hémoglobine un peu diminuée ou normale compensée par une hyperréticulocytose; splénomégalie parfois décrite.

Chez le nouveau-né et le nourrisson:

Elliptocytose héréditaire avec poïkilocytose infantile transitoire (ou pycnocytose infantile). Lhémolyse est nette à la naissance avec grande hyperbilirubinémie et risque d’ictère nucléaire. Dépendance transfusionnelle la première année puis évolution vers 6-12 mois vers une elliptocytose de phénotype modéré.

Dans la population noire elle est liée principalement à une anomalie de la spectrine (hémolyse+/- franche) et chez les Caucasiens elle est surtout liée à un déficit en protéine 4.1 (pas ou peu d'hémolyse)

Elle est parfois initialement presque indiscernable cliniquement et biologiquement de la pyropoïkilocytose héréditaire (voir plus loin).

Biologie.

Hémogramme.

        Dans 90 % des cas: hémogramme stictement normal, (Hb normale, VGM normal, N° réticulocytes normale).

        Dans 10 % des cas : hyper réticulocytose modérée (150 - 200 G/L), qui compense souvent l’anémie.

        Leucocytes et plaquettes : pas de particularités.

       Morphologie des GR  sur frottis.

                    Le plus souvent les elliptocytes sont majoritaires (50 - 90% des GR) sur le frottis sanguin de l'adolescent et l'adulte, et sont :

                           soit très allongés (souvent associé à un déficit en protéine 4.1),

                           soit oblongs ou ovalaires (aspect en ballon de rugby),

                           soit on observe un mélange de 2 formes,

                           soit il y a en plus 5 - 10 % de GR fragmentés

Chez les nouveaux nés qui présentent une hémolyse : les elliptocytes sont rares et l’aspect sur frottis se rapproche de celui de la pyropoïkilocytose

       L’histogramme des volumes des GR est normal ou montre un épaulement à gauche (s'il existe des hématies fragmentées).

       Le VGM est normal, parfois discrètement diminué s’il existe de nombreux GR fragmentés.

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Un elliptocyte a un grand axe au moins égal à 2 fois le petit axe.

Parfois on observe jusqu’à 10% de GR fragmentés, de formes très variables, comme pour l’elliptocytose héréditaire hémolytique (voir plus loin).

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Dans l’elliptocytose héréditaire, l’histogramme de distribution des volumes érythrocytaires est soit normal soit montre comme ici un petit épaulement à gauche (flèche), signalant l’existence de petites hématies.

Bilan d’hémolyse : normal dans 90 % des cas, perturbé dans les 10 % restants (une hémolyse plus franche est observable dans quelques cas chez le nouveau-né).

Autres examens :          - résistance globulaire normale ; durée de vie des GR normale (ces examens ne sont pas réalisés en pratique)

                                     - L'ektacytométrie (mesure in vitro de la déformabilité des GR en fonction de l'osmolalité du milieu) montre une courbe d'aspect particluier (en trapèze) 

Diagnostic positif et différentiel.

Le diagnostic positif repose sur l’existence d’un nombre élevé d’elliptocytes sur le frottis sanguin ; 30 - 100 %

On peut observer quelques elliptocytes (jusqu’à 10%) dans :

                - anémies mégaloblastiques (macro ovalocytes)

                - anémies par carence martiale, thalassémies majeures

                - associés aux GR en larme (dacryocytes).

Au cours des syndromes myélodysplasiques : un déficit acquis en protéine 4.1R (avec ou sans anomalie du caryotype tumoral), est exceptionnellement décrit, aboutissant à la présence d'un nombre variable (> 10%) d'elliptocytes (on l'évoque quand les elliptocytes sont nombreux et que la découverte des elliptocytes semble un phénomène acquis)

Remarques.

     - Le déficit en protéine 4.1.R hétérozygote présente une hémolyse chronique modérée, alors que l’homozygotie est associée à un tableau d’anémie hémolytique sévère, dépendante des transfusions (présence mêlée d’elliptocytes et de sphérocytes sur frottis sanguin).

     - Le déficit en glycophorine C hétérozygote est totalement asymptomatique sur les plans clinique et biologique (pas d’hémolyse, pas d’elliptocytes sur frottis). Chez l'homozygote il n'y a pas d’anémie mais seulement une elliptocytose modérée sur frottis.

Pyropoïkilocytose héréditaire

Forme apparentée à l’elliptocytose héréditaire, liée à une anomalie des interactions entre dimères de spectrine ou entre dimères de spectrine et protéeine 4.1R.

Maladie rare, à transmission autosomique récessive : les pts sont soit homozygotes si les 2 parents sont porteurs de la même anomalie soit hétérozygotes composites si les parents portent 2 anomalies différentes.

La maladie apparaît souvent dès la naissance, sous la forme de crises d’hémolyse plus ou moins sévères, avec fragmentation excessive des GR (= crises favorisées par les situations d'hyperthermie élevée).

Splénomégalie (la splénectomie améliore l’anémie).

L'hémolyse est sévère, transfusion dépendante.

Hémogramme.

Anémie microcytaire régénérative :         - pendant les crises l’anémie est plus forte (hémolyse plus franche)

                                                         - VGM diminué, la microcytose étant liée aux nombreux GR fragmentés de petite taille (voir courbe de distribution des volumes des GR)

Remarque : les fragments érythrocytaires de taille très réduite perturbent la N° plaquettaire automatisée (fausse augmentation) quand les automates utilisant la méthode de comptage par impédance.

Le diagnostic est évoqué par l’examen du frottis sanguin :

Grandes poïkilocytose constituée d’hématies fragmentées, de toutes formes et de taille réduite

on peut aussi observer des sphérocytes et quelques grands GR (correspondant à des réticulocytes).

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Remarque. L’aspect cytologique sur frottis se rapproche de celui observé chez les grands brûlés.

Autres.

Dans les cas avec peu d’anomalies morphologiques des GR, la fragmentation des GR est amplifiée par chauffage du sang à > 42 °C (fragilité accrue des GR à la chaleur = "pyro" poïkilocytose) [normalement les GR éclatent vers 49°C, et ici vers 45-46°C]

L'ektacytométrie et l'électrophorèse SDS-PAGE des protéines membranaires complètent le diagnostic.

Le screening moléculaire du polymorphisme de faible expression α LELY chez le propositus et ses parents est possible.

   

  

Ovalocytose du sud-est asiatique (ou ovalocytose mélanésienne ou ovalocytose héréditaire).

Distribution géographique et prévalence.

Se superpose à celle des régions impaludées d'Indonésie, Asie du SE, Mélanésie, Nouvelle Guinée, Philippines, Thaïlande, car elle offre une protection contre le paludisme (vivax; falciparum : surtout les crises cérébrales)

Prévalence pouvant atteindre 5 à 25 % selon les régions

Affecton à transmission autosomique dominante, secondaire à une délétion de 27 pb codant pour les AA 400 à 408 de la protéine bande 3.

L'homozygitie semble incompatible avec la vie.

L'augmentation de la rigidité de la membrane du GR est franche in vitro (ektacytométrie) mais contraste avec l'aspect asymtomatique.

Clinique et biologie.

Etat asymptomatique chez l'adulte : ni anémie ni hémolyse

Chez le nouveau-né une anémie hémolytique avec ictère est possible, nécessitant une photothérapie. La régression progressive de la symptomatologie est la règle après quelques mois.

Découverte : fortuite par examen du frottis sanguin : la majorité des hématies correspond à des ovalocytes, souvent avec une fente transversale centrale (parfois 2), et quelques ovalocytes sont de plus grande taille (= macro -ovalocytes) 

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 L'hémogramme est par ailleurs normal, ou montre une CCMH augmentée (36 - 40 g/dL)

Le test EMA (utilisé pour le diagnostic de la sphérocytose héréditaire) est perturbé, avec perte de fluorescence de bande 3 pouvant dépasser 30% par rapport aux témoins.

L'ektacytométrie montre un profil particulier.

Stomatocytoses héréditaires.

30 à 40 fois moins fréquentes que la sphérocytose héréditaire.

Groupe hétérogène d’affections autosomiques dominantes, dans lesquelles on observe que les GR ont une perméabilité anormale aux cations. Il en existe 2 formes principales toutes deux liées à un déficit en un échangeur membranaire d’anion :

Chez des pts ayant une hémolyse sévère et ayant nécessité une splénectomie, une forte incidence de thromboses a été rapportée.

- Stomatocytose héréditaire ou hydrocytose.

Incidence : 1 / 1 million de naissances

Les GR sont hyperhydratés, par augmentation de la perméabilité de la membrane au sodium (et à un moindre degré au potassium).

L’expression clinique est très variable, de l’hémolyse très modérée à l’hémolyse sévère.

Particularité de l’hémogramme : macrocytose (VGM = 110 – 150 fL) hypochrome (CCMH diminuée = 30 – 24 g/dL).

N° réticulocytes : > 150 G/L

Sur frottis : nombreux stomatocytes = hématies en forme de bouche (présence d’une strie claire coupant en deux le GR).

Hémolyse biologique (haptoglobine effondrée)

Remarques :

- des stomatocytes s’observent dans les insuffisances hépato cellulaires, et chez les pts Rh null ou Rh très diminué (une mutation dans certains gènes Rh en est responsable, et on y observe une hémolyse modérée).

- La maladie peut évoquer une sphérocytose héréditaire quand il y a peu de stomatocytes sur frottis.

- Xérocytose.

Incidence : 1 / 10 000 naissances 

Les GR sont déshydratés, avec diminution de la concentration intraglobulaire en potassium.

L’anémie est absente ou modérée, et l’hémolyse discrète.

Particularité de l’hémogramme : VGM = 98 – 120 fL, et CCMH élevée (35 – 40 g/dL).

N° réticulocytes : 100 - 200 G/L

Sur frottis sanguin : morphologie souvent normale, mais chez quelques pts on observe des GR contractés et spiculés, avec stomatocytes et hématies cibles.

Il existe d'autres maldies dans ce groupe, comme la cryohydrocytose (AH modérée à forte) ou la pseudohyperkaliémie familiale (peu symptomatique), liées à une fuite de potassium des GR.

Acanthocytoses.

Situations au cours desquelles on observe des acanthocytes sur le frottis sanguin : hématies émettant quelques spicules (2 à 12 par définition) et de longueur variable, denses, qui se projettent à partir de la surface du GR et à intervalles irréguliers.

Leur présence est le plus souvent un artéfact, quand ils sont mêlés à des échinocytes et des échino acanthocytes.

Acanthocytoses héréditaires.

* Abêtalipoprotéinémie (ataxie progressive, rétinite pigmentaire atypique, maladie coeliaque, acanthocytes, quasi absence de cholestérol sanguin ; anémie absente ou très modérée normocytaire ; réticulocytes normaux ou un peu élevés ; parfois > 50% d’acanthocytes)

* Maladies neurologiques dégénératives :

                - Choréo-acanthocytose : acanthocytes (> 3%), normolipémie, maladie neurologique  progressive débutant à l’adolescence ou l’âge adulte (fatigue, hypotonie, chorée,…). Une mutation du gène CHAC ou JPH3 (choréine) a été identifiée.

                - neuro- acanthocytose : acanthocytes > 3% ; ensemble de maladies hétérogènes cliniquement et génétiquement, de nature neurodégénérative, présentant parfois des liens avec la choréo-acanthocytose ou le phénotype macLeod

* En association avec des anomalies des groupes sanguins érythrocytaires :

                - Syndrome McLeod (anomalie héréditaire du groupe Kell, liée à l’X). Défaut de protéine XK, qui est normalement liée à l’endopeptidase Kell qui porte les antigènes Kell. Les hommes ont des acanthocytes (10 -80%) et une hémolyse modérée et compensée, alors que les acanthocytes sont rares chez les femmes et l’hémolyse plutôt absente. Ces patients peuvent développer une myopathie et des troubles neuropsychiatriques.

                - Phénotype Lutheran nul : Lu (a-b-). Lié à la présence d’un inhibiteur (1/5000 pts ; hérédité dominante) qui supprime l’accessibilité des Ac de dépistage aux Ag. Les pts concernés ont parfois des acanthocytes ou une poïkilocytose, sans hémolyse

* Un petit nombre d’acanthocytes a été mentionné au cours du déficit en PK, de dysérythropoïèses avec mutation de GATA 1, de la mucoviscidose, de la sphérocytose héréditaire avec anomalie de la bande 3, de l’hypercholestérolémie familiale.

Acanthocytoses acquises.

* Insuffisance hépatocellulaire avec anémie hémolytique, (habituellement cirrhose alcoolique, mais parfois hépatite virale sévère, hépatite néonatale, cirrhose cardiaque, hémochromatose, maladie de Wilson). Au cours des maladies hépatiques les pts peuvent développer un excès de cellules cibles, liées à une inhibition de la LCAT (lécithine cholestérol acyl transférase) qui augmente la quantité de cholestérol libre du plasma et la quantité de chol et de PL de la membrane des GR ; il n’y a pas d’hémolyse. Mais quand la maladie devient sévère on peut voir apparaître des acanthocytes et une hémolyse : il y a augmentation de la quantité de lipides membranaires mais aussi augmentation du ratio chol/PL.

* Hypobêtalipoprotéinémie par malnutrition ou privation de lipides

* Pycnocytose infantile

* Déficit en vitamine E. Chez les  prématurés qui recevaient des préparations nutritives pauvres en vitamine E, ou dans la fibrose kystique, on peut observer des acanthocytes. Chez les petits enfants ayant une maladie hépatique chronique un déficit en vitamine E peut s’installer, avec troubles neurologiques et quelques acanthocytes.

* Syndromes myélodysplasiques

* * Un petit nombre d’acanthocytes a été mentionné post splénectomie et dans l’asplénie fonctionnelle, dans l’anorexie mentale (mécanisme mal élucidé, nombre d’acanthocytes variable d’un patient à l’autre), dans le myxoedème (50% des patients ont un petit nombre d’acanthocytes (0.5 – 2%), le panhypopituitarisme.

Conclusion.

Il existe de nombreuses autres anomalies de la membrane du GR, toutes très rares.

L’examen du frottis sanguin est très souvent utile pour avancer dans le diagnostic.

Il existe des liens complexes entre toutes ces maladies : par exemple les mutations du gène de la protéine bande 3 sont responsables de la sphérocytose héréditaire mais également de certaines acidoses tubulaires rénales, et de l’ovalocytose asiatique : dans cette dernière les GR présentent une fuite de cations à basse température (on l’appel d’ailleurs parfois cryohydrocytose), ce qui la relie aux stomatocytoses héréditaires.

Références.

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Octobre 2015